Marclay ou l’art de détruire pour mieux construire

Marclay ou l’art de détruire pour mieux construire

A propos de l’exposition « Christian Marclay » visible au Centre Pompidou à Paris jusqu’au 27 février.

L’exposition qui lui est actuellement consacrée au Centre Pompidou est de taille. Impossible cette fois de rester insensible à l’univers créatif du musicien, compositeur et artiste plasticien Christian Marclay, tant les portes d’entrée sont nombreuses pour y accéder, que ce soit par un bout ou par un autre. Entre ses tableaux représentant d’improbables personnages intersexués à coup d’assemblages de pochettes de disques vinyles, ses sculptures spectaculaires et loufoques d’instruments de musique aussi étirés qu’inutilisables, ses tricotages de bandes magnétiques faisant un coussin au crochet de la musique des Beatles, les fragments de BD américaines et de mangas japonais assemblés en gueules cassées géantes et vociférantes, son film The Doors complètement hypnotique, produit pour l’exposition, témoin de son talent machiavélique pour le montage… - et j’en passe -, on ressort subjugué par autant d’imagination et d’inventivité.

L’œuvre d’art aussi plurielle qu’inspirante de Christian Marclay est donc enfin largement présentée dans une exposition à Paris, et non plus seulement par le bout d’une lorgnette ou d’une autre, comme lorsque neuf de ses installations vidéo avaient été présentées à la Cité de la Musique en 2007, que son activité photographique s’était exposée à Rennes en 2008, ou que sa fameuse horloge The Clock , oeuvre vidéo diffusée en boucles de 24 h, avait été projetée en 2010 à Beaubourg. « Cela faisait donc un moment que l’on espérait, en France, un panorama global de l’œuvre prolifique de l’artiste. Aussi l’exposition au simple titre patronymique présentée au Centre Pompidou fait-elle doublement événement : comme un rendez-vous attendu, et comme une forme récapitulative très rare dans la trajectoire internationale de Marclay, lui qui a toujours privilégié des sélections circonscrites et thématisées de son travail », écrit Valérie Mavridorakis pour Artpress, le magazine d’art contemporain paru en ce mois de janvier.

Pensée sans suivre un parcours chronologique, mais selon un réseau d’affinités et d’échos déployant la logique de l’artiste multimédia, l’exposition « Christian Marclay » mêle détournements et métamorphoses dans un parcours occupant la plus grande des galeries d’art du Centre Pompidou devenue labyrinthe, et rassemblant plus de 220 œuvres d’art. L’artiste estimant que la mémoire est notre plus ancien système d’enregistrement s’est très tôt passionné pour le monde sonore. Et sur la meilleure façon de le représenter. Né en 1955 en Californie, ce suisse-américain vivant à Londres n’a pas échappé aux études d’art, mais très vite il s’est retrouvé sur scène avec le musicien Kurt Henry pour combiner sons et images en direct, dans des concerts qui étaient déjà de véritables performances artistiques. Les deux artistes musiciens avaient baptisé leur duo The Bachelors, even, c’est-à-dire Les célibataires, même, d’après le titre développé du Grand Verre de Marcel Duchamp : La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (1915-1923).

Dès le début des années 1980, Christian Marclay se lance dans une carrière solo d’artiste visuel, mais il crée toujours ses œuvres d’art à vendre « à partir d’éléments tirés du monde sonore, du monde de l’enregistrement, du monde de la culture pop », comme l’explique Jean-Pierre Criqui, commissaire de l’exposition. « Il utilise des disques, des vinyles 33 ou 45 tours, ou les pochettes de ceux-ci. Le re qui se trouve dans recommencer, refaire, répéter est l’emblème de tout le travail de Christian Marclay. Re, en vieux français, se trouvait dans un mot qui n’existe plus, qui est record, qui voulait dire mémoire et souvenir. Le mot fut d’usage courant jusqu’au XVIIe siècle et recorder signifiait non pas enregistrer, mais se souvenir, se rappeler. » La mémoire comme le plus ancien système d’enregistrement.

Toujours, l’artiste se positionnera à la croisée des arts savants et populaires, de la musique et des arts visuels, tous médiums confondus. « L’exposition, dans sa première partie, retrace généreusement les origines du parcours de l’artiste platiniste et collagiste de microsillons et de pochettes de disques au tournant des années 1980. On synthétisera ici les traits les plus saillants de l’œuvre depuis, qu’abasourdi, on s’était soustrait aux tirs croisés de la vidéo Crossfire en 2008 ou extirpé à regret de l’un des canapés de The Clock en 2010 », écrit pour Artpress Valérie Mavridorakis, professeure d’histoire de l’art contemporain et spécialiste de l’art des années 1960-70. L’auteur Clément Chéroux de « Photo-phonographie de Christian Marclay » paru en 2009 n’avait pas manqué de le souligner : « La tension dialectique qui est sans cesse à l’œuvre dans le travail de Marclay a quelque chose de profondément ludique ».

Et c’est bien cet aspect ludique qui fait d’une œuvre d’art contemporain somme toute très conceptuelle une œuvre d’art populaire accessible au plus grand nombre. Chapeau l’artiste.

« Cette dimension ludique qui rend l’œuvre de Marclay si attrayante bien qu’elle soit exigeante, s’est confirmée ces dernières années à travers un recours intensif à la bande dessinée, réservoir inépuisable de motifs et de sons », observe Valérie Mavridorakis. « Toutefois, le jeu des hybridations intersexuées, voire tératologiques, qui caractérisait déjà les collages de pochettes de disque, se teinte désormais d’une ambiguïté qui n’est pas sans refléter l’esprit du temps. » C’est pour utiliser les moyens du bord pendant le confinement que Christian Marclay à commencé à déchirer et découper d’innombrables albums BD pour réaliser des collages de créatures hurlantes. Mêlant la technique traditionnelle de la xylogravure à une technologie électronique sophistiquée permettant de l’appliquer à de grands formats, l’artiste se retrouve ainsi à faire résonner « l’écho lointain des bois gravés des artistes de la Brücke (…) dans ces œuvres frankensteiniennes qui trouvent cependant leur inspiration dans la lithographie du Cri (1895) d’Edvard Munch où la célèbre tête tordue d’angoisse s’inscrit sur un réseau de lignes pareilles à des fibres de bois », constate Valérie Mavridorakis. « Jamais les œuvres silencieuses de Marclay n’avaient été aussi bruyantes. »

Ce qui est formidable dans cette exposition Christian Marclay, c’est ça, justement. Le mille-feuilles extraordinaire d’interprétations possibles, depuis le simple ressenti instinctif face à l’œuvre d’art dont on comprend immédiatement quelque chose, même si comme l’affirme Artpress « les plaisirs sensoriels de l’œuvre de Marclay ne sont jamais innocents »… jusqu’à son analyse vertigineuse faisant appel à d’innombrables références en matière d’histoire de l’art. Chez Marclay, toutes les portes parlent.

 

Source: https://www.artactif.com
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